Multisports
L'orchestre des scouts du club palestinien Silwan, au pied de la colonie (Jerusalem-Est).
Kader, avec le maillot, et son papa, prof de sport.
Silwan, Jérusalem Est
Etude comparée de proportionnalité
Après les scouts et les lieux saints, l'introduction à la géopolitique par un club de sport.
Au pied des remparts, vue imprenable sur le dôme du rocher, à deux pas de l'époustouflante vieille ville de Jérusalem : on est dans un des coins les plus prisés par les colons dans la ville trois fois sainte. Un new-yorkais du nom de Moskowitz y a investi il y a six ans, et aujourd'hui, sur les terrains du club sportif palestinien du Silwan, à leur place quoi, la colonie s'étend, en long, en large et en hauteur, alors que pour les populations palestiniennes, quand il n'est pas tout simplement interdit, le droit de construction est limité dans tous les sens.
La règle est simple dans ce quartier arabe : Tout ce qui n'est pas colonisé par une famille juive est déclaré espace vert par le KKL (le fond national juif, qui gère entre autre ce qu'ils appellent l'environnement). Sur les 14000 plaintes actuellement en attente pour « construction sur espace vert », 13000 concernent des juifs. Etrange ? Aucun colon n'a jamais été poursuivi. Par contre dans le doute, l'état ou la municipalité (juive israélienne) de Jérusalem lui amène une route, l'électricité, l'eau et des soldats pour le blindage, le tout à deux kilomètres au loin de la ligne verte.
De la relativité faite gestion du patrimoine.
Ici, depuis qu'on est là, on a du s'habituer à dire « juif », à chaque phrase et de prendre sur nous. Par contre, on ne dit pas « palestinien », « syrien », « druze » et surtout jamais « citoyen israélien », mais seulement et toujours « arabe ». De la relativité du communautarisme pour un français.
Une petite visite au club de sport du Silwan, qui sévit depuis 1965 dans la première division de la ligue palestinienne de foot et ne veut pas en démordre ; plusieurs fois champion, de nombreux joueurs résistants emprisonnés en 67, il n'a plus de terrain mais ne dépose pas le maillot : Un deux-pièces vert-rouge-noir-blanc, quand le drapeau de la Palestine est interdit et malgré les interventions légales et militaires multipliées contre le club pour dégager ces couleurs et Al Aqsa du tee-shirt.
Alors qu'on s'étonne de la vivacité de l'unité libanaise dans tous les médias internationaux, les entraîneurs du Silwan vous rappellent l'ordre des choses par le microscopique bout de la lorgnette : depuis 1965, la notoriété du club a progressé de façon « proportionnellement opposée » à la réduction de ses locaux, de son espace vital et de ses effectifs.
En 2003, les tracteurs israéliens ont mangé le terrain de basket. L'équipe a été emprisonnée, un machsom (check point) et des chiens installés pour empêcher l'entraînement. En échange, les riverains ont cédé des bouts de terrain pour construire une terrasse de l'autre côté, pour ce qui pouvait rester des activités. Dans le bâtiment, un salle de réunion, une bibliothèque, une salle administrative et une salle de muscu financée par la Banque mondiale.
Pour les matchs de poule, les autres clubs palestiniens n'ont pas le droit de venir à Jérusalem et de toute façon le terrain de Silwan, ce n'est plus qu'un faux triangle dallé d'une quarantaine de mètres carrés, alors les joueurs se déplacent, où il faut, et tant qu'il faudra.
« Ne pas lâcher l'affaire » : harcèlement psychologique ou pas, virtuosité, souplesse et pied de nez.
Dans le Silwan, les maisons sont détruites, les terrains sont inconstructibles pour les arabes, les routes sont périmètres de sécurité et les enfants palestiniens n'ont pas de papiers. Mais ils ne lâchent pas leur club de sport et femmes, enfants, familles, se réunissent et font du bruit pour chasser les fantômes à toutes les occasions. Et, à chaque occasion, l'armée vient les disperser parce que les bruits des matchs dérangent la colonie. Au Silwan, ils s'en foutent, Platini et Ronaldo leur ont rendu visite.
Aujourd'hui, nous aussi on visite le club pendant qu'un monsieur repeint un coin du parapet qui sépare de la colonie et qu'un autre répare le sol. Au bout d'un petit quart d'heure, les scouts arrivent pour entraînement de l'orchestre : Cornemuse, trompettes, timbales, tambours…
Ça fait un boucan de malade, on s'entend à peine parler et en sortant, on voit dernière le muret les enfants de la colonie faire du vélo. Ils savent déjà faire les sourds.
Avant-hier, les scouts ont reçu leur uniforme d'été (un t-shirt blanc tout simple avec AlAqsa et deux drapeaux). Jusqu'à 2 heures du matin, à onze-douze ans, ils ont été interrogés un par un à la sortie du club par l'armée, postée et harnachée, qui voulait savoir où-pourquoi-comment ce tee-shirt, de qui, etc. Les mêmes questions que pour l'étranger moyen à l'aéroport, la violence en plus.
Tournée de thé et l'Histoire dans sa version personnalisée : l'un des entraîneurs a été séparé de tous ses parents, partis en Jordanie, en 67, quand « les israéliens ont pris la terre sans les gens ». Ils ont été chassés par la guerre et n'ont jamais eu le doit de revenir. Lui fait partie des dommages collatéraux, parmi les 200 à 250000 palestiniens encaissés par les israéliens quand ils ont pris Jérusalem-Est. Depuis, comme eux tous, il a des papiers d'immigrants, comme un travailleur roumain arrivé le mois dernier. Il est avocat, paie impôts et taxes à Israël mais n'a ni droit de vote, ni passeport, ni accès aux services ou à une vie sociale ou culturelle promue par l'administration israélienne. Si les crédits palestiniens n'étaient pas coupés, il aurait peut-être droit à quelques services mais … il n'a pas accès à la Palestine, sauf s'il veut s'installer en Cisjordanie.
S'il demande une autre nationalité, il perd le droit de revenir à Jérusalem ; en attendant, il est sous le coup, comme la majorité de ses voisins et des habitants de Jérusalem-Est, de menaces d'expulsions ou de destruction de sa maison. De chez lui (en territoire palestinien), il n'a plus accès à son bureau (à 5km, en territoire palestinien), depuis que le mur est fini dans ce coin : ce qui doit servir de « nouvelle » frontière à Israël inclut tout Jérusalem et toutes les colonies autour à l'état hébreu. Mais lui reste « jérusalémite », ni israélien ni palestinien : papiers bleus. Euh, c'est-à-dire ? Il n'a pas le droit d'être palestinien puisque pour Israël, Jérusalem n'est pas en Palestine ; il n'a pas non plus le droit d'être israélien, parce qu'il faut pas déconner c'est un arabe quand même.
De son collègue, prof de sport, on saura juste qu'il a passé 13 ans dans les prisons israéliennes. Son fils Kader est venu avec lui, un petit de quatre ans an maillot de foot caché derrière son père et qui n'aura pas décoché un sourire en une heure, parce qu'il pense qu'on est juifs, nous dit son père. De la relativité, toute proportionnelle, dans ta face.
On essaiera d'en tirer un petit topo sur les droits des « arabes » dans la capitale internationale d'un état juif en mettant de côté les rencontres, les vues en coupe et autres profils vertigineux qu'on aura croisés, pour essayer de ne garder que les contours et les divisions et comprendre comment ça marche ici. On a du boulot parce que pour l'instant parfois, je n'ai même plus envie de questionner les gens que je croise…
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